La mort à venise
Grâce à Françoise - merci pour cette délicate attention - j'ai pu lire La mort à Venise.
Nous parlons ici de la nouvelle de Thomas Mann,
auteur allemand de la fin du 19ème et du début du 20ème. La précision
s'impose, le titre étant généralement associé au film de Luchino Visconti. Les deux oeuvres présentent pourtant de significatives différences.
En
premier lieu, la nouvelle est très nettement antérieure au film
puisqu'elle est parue en 1912 tandis qu'elle n'a été portée à l'écran
qu'en 1971.
Ensuite, si l'on s'en rapporte à Armand Nivelle,
commentateur de l'édition de la nouvelle que j'avais en main, le film
est en réalité une interprétation assez libre, volontairement plus
provocatrice, de la nouvelle.
Mais venons en au texte.
Avant
tout, c'est un véritable maillage de références à la mythologie -
l'auteur procédant fréquemment par référence aux dieux ou aux légendes
qui les mettent en scène pour exprimer un état d'esprit - ainsi qu'à
l'oeuvre de Schopenhauer qui sert de point d'appui à ses positions sur
la volonté ainsi que sur la distinction entre amour et sexualité. La
mort à Venise est donc un ouvrage à découvrir en édition annotée, sauf
à posséder une culture suffisante ce qui est loin d'être mon cas.
Au delà de cet aspect formel, la trame de la nouvelle est extrêmement simple.
Aschenbach,
artiste allemand renommé, parvenu au sommet de sa gloire et d'âge mur,
quitte sa ville de résidence pour rejoindre Venise, lieu de
villégiature. L'homme présente ce trait caractéristique d'éprouver la
plus grande difficulté à s'établir à un endroit donné, fut-ce pour un
court séjour, et d'être solitaire.
C'est sur une impulsion irraisonnée qu'il gagne Venise pour s'y établir le temps d'un été (ça me rappelle quelqu'un...).
Dans
la cité maritime, l'artiste séjourne dans le même hôtel qu'une famille
polonaise qui compte parmi ses membres un adolescent d'environ 14 ans
d'une beauté qui frappe Aschenbach.
A partir de cette rencontre, la nouvelle connaît trois temps.
Au
commencement, c'est une lutte entre la raison et les sentiments qui
fait rage dans l'esprit d'Aschenbach. Ce dernier se drape dans sa
condition d'artiste pour légitimer la contemplation de la beauté de
l'adolescent, affectueusement surnommé Tadzio, tout en étant conscient
que le regard qu'il porte sur lui échappe à sa volonté. Ce qu'il lui
reste de maîtrise de soi lui permet cependant de demeurer discret et le
conduit à tenter de fuir Venise.
Cette fuite, son échec plus
exactement, marque le deuxième temps de la nouvelle. De retour à
l'hôtel, Aschenbach laisse totalement libre cours à son inclination et
s'abîme dans la contemplation de Tadzio sans plus chercher à la
légitimer. Il demeure cependant à distance de l'adolescent et de sa
famille et ne cherche pas à établir d'autre lien que celui, imaginaire,
qu'il tisse avec l'objet de son attention.
Survient alors une
épidémie de choléra qui se répand dans la ville. Aschenbach hésite à
prévenir la famille de Tadzio, à sauver la vie de celui dont il ne peut
détacher le regard. Il ne trouvera pas la force de le soustraire à sa
vue. La fin advient très vite et Aschenbach succombera en contemplant
l'adolescent.
Dire cela n'est rien dire. Le véritable propos de Thomas Mann est plus complexe que ce qu'il livre à ses lecteurs.
On
serait volontiers enclin à croire l'artiste vieillissant amoureux de ce
jeune homme dont la beauté nous est contée à chaque page. Pourtant,
très rapidement on est troublé par le caractère purement platonique des
sentiments qu'Aschenbach semble lui porter. Il semble admirer
l'esthétique de Tadzio plus que sa beauté proprement dite. Jamais il ne
cherchera à aller vers ce bel adolescent et choisira - car c'est un
choix finalement - de le condamner à mort plutôt que de se priver de sa vue.
Le
lien que tisse Aschenbach avec Tadzio ne ressemble finalement pas à de
l'amour et ne présente même aucun point commun avec la relation qui
unissait certains membres de la haute société grecque à leurs élèves.
Réflexion sur la beauté ? Sans doute. Encore que celle de Tadzio n'appelle pas réellement de commentaire.
Il
me semble, surtout, qu'Aschenbach parvenu au sommet de la réussite
sociale se rend compte, à la vue de Tadzio, de ce qu'il a perdu: sa
jeunesse, sa beauté. Le plus jeune est un miroir déformant, un miroir
qui ferait fis du temps écoulé, dans lequel se contemple son aîné.
La
jalousie serait alors une explication plausible au fait que l'artiste
choisisse de ne pas laisser la vie sauve à l'objet de son attention.
Si
La mort à Venise présente un caractère provoquant, c'est plus par la
mise en scène d'une forme d'érotisme narcissique - Aschenbach subjugué
par sa propre jeunesse - que par une allusion à la pédophilie.
Une
nouvelle à lire, en tous cas, que ce soit pour le simple plaisir de
flâner dans le rues de Venise ou, si vous êtes plus courageux, pour
tenter de cerner cette drôle d'attraction qu'exerce Tadzio sur
Aschenbach.